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Le devoir conjugal: De l'histoire ancienne?

Pourquoi ce sujet ?


Très souvent en consultation j’entends des femmes dire des phrases comme « Ben non j’ai pas trop envie mais je le fais quand même, faut bien vous comprenez... ».

Et bien j’avoue que justement je n’étais pas sûre de comprendre, ou en tout cas pas vraiment, juste en surface. Et après tout que faire de ces petites phrases ? Que faire dans ces situations ? Juste ne pas le faire ? Cela ne semble pas si simple. J’ai donc voulu en savoir plus et étudier le phénomène sous toutes les coutures, quelle plus belle occasion qu’un mémoire à écrire !

Voici les questions auxquelles j’ai voulu répondre : Est ce que les femmes vivent encore aujourd’hui une sexualité par devoir ? Quelles sont les causes de ce phénomène ? Comment le vivent-elles ? Et surtout quelles perspectives peut -on en proposer pour améliorer leur santé sexuelle ?


De quoi parle t’on ?


Par devoir conjugal j’entends le fait de vivre une relation sexuelle alors qu’on en pas envie, quelle qu’en soit la raison. Cela exclut les situations où le partenaire exerce de la violence, menace, contrainte ou surprise pour obtenir cette relation sexuelle. Les termes « d’absence d’envie » sont ceux utilisés dans l’enquête sur la sexualité en France. Cette grosse enquête sociologique, une référence en la matière, a interrogé les français sur leur sexualité dans tous ses aspects. Elle nous apprend que plus des trois quarts des femmes ont plus ou moins souvent des relations sexuelles alors qu’elles n’en avaient pas envie.


Le contexte : les normes sociales


Les normes sociales sont des règles de conduite implicites ou explicites qui façonnent le comportement des individus. Il est important de les considérer car elles forgent nos opinions, valeurs, habitudes souvent sans même que nous nous en rendions compte. Or de nombreux éléments viennent influencer la motivation sexuelle des femmes en les encourageant à une forme de devoir conjugal, de devoir sexuel comme s'il existait une dette sexuelle envers le partenaire.

La norme morale (Ce que disent la loi et la religion) portée historiquement par la religion catholique est la plus explicite en matière de devoir conjugal qui fut clairement prescrit aux couples mariés. La révolution a transféré les contenus du mariage vers la loi civile. Celle-ci n’a jamais contenu explicitement la notion de devoir conjugal mais on la retrouve dans la jurisprudence ainsi que dans la compréhension actuelle du devoir de communauté de vie et de fidélité.

La norme clinique (Ce que dit la médecine) fut longtemps portée par la psychanalyse. Dans cette approche l’érotisme est très marqué par la domination masculine et la soumission féminine, même de façon inconsciente. La notion de besoins sexuels masculins et les conséquences délétères supposées de l’abstinence ont été longtemps véhiculées même si nous savons aujourd’hui que ce n’est pas sous l’angle physiologique qu’il faut considérer les choses, la frustration appartenant plus au domaine émotionnel et affectif. Enfin la notion admise que les femmes ont par nature moins de désir et s’engagent généralement dans l’activité sexuelle pour d’autres raisons que le désir sexuel (désir plus relationnel) peut également servir une forme de devoir conjugal.

La norme statistique (Ce que font les autres) ne vient que depuis quelques années questionner la notion de consentement sexuel. Les femmes s’y référant auront plus tendance à se trouver face à des témoignages d’autres femmes qui estiment « normal » de se forcer un peu ou beaucoup pour les relations sexuelles, par peur des conséquences relationnelles et familiales si elles ne le font pas.

La norme culturelle (Ce que disent les médias, la culture) montre les femmes beaucoup plus dénudées que les hommes et dans des postures sexualisées dont le message est clairement celui de la disponibilité sexuelle pré supposée des femmes.


Et concrètement ?


Pour savoir si ces différentes normes sociales ont un impact concret dans la sexualité des femmes aujourd’hui je les ai interrogées de façon anonyme par un questionnaire en ligne partagé sur les réseaux sociaux et au cabinet. L’objectif était de savoir quelle proportion de femmes ont des relations sexuelles alors qu’elles n’en avaient pas envie et quelles en sont les conséquences : quelles émotions et pensées ce type de relation sexuelle produit, quelles sensations dans leur corps, quelles conséquences sur la relation avec le partenaire. 303 femmes ont répondu, j’ai fait le choix d’étudier les femmes en couple avec un homme car les normes sociales retrouvées sont liées à l’hétérosexualité.

Voici quelques résultats parmi les plus marquants :

Quelle proportion de femmes a des relations sexuelles alors qu’elle n’en a pas envie et à quelle fréquence? : Jamais 27,1% Rarement 21,1% Parfois 32% Souvent 19,8%
Quelles sont les émotions ressenties : Colère 53% Tristesse 30% Joie 25% Peur 20% Dégout 5%

Le total est supérieur à 100 % car les femmes pouvaient cocher plusieurs réponses, la tristesse est majoritairement de la culpabilité et elle cohabite souvent avec la colère.

Ensuite à quoi pensent ces femmes lorsqu’elles ont un relation sexuelle alors qu’elles n’en avaient pas envie ? Certaines pensées traduisent un forme d’adhésion à ce qu’elles vivent, c’est à dire qu’elles n’en avaient pas envie au départ mais les pensées qu’elles expriment semblent positives :

Je me dis qu’il m’aime, je me dis qu’il me désire, le désir va venir en cours de route, je me dis que je lui fais plaisir, je me dis que c’est bon pur notre relation. 93 % des femmes expriment ce type de pensée, ce qui laisse penser que finalement vivre une sexualité, même pour accomplir un devoir n’est pas un problème pour les femmes.

Mais en même temps que ces pensées positives les trois quarts des femmes ont des pensées qui traduisent plutôt qu’elles vivent cette relation sexuelle comme une contrainte :

J’ai hâte que cela soit terminé, après je serai tranquille, je pense à la manière de dissimuler mon manque d’envie, je me dis que les hommes ont des besoins, la sexualité est indispensable dans un couple… Donc si certaines femmes sont uniquement en accord avec leur décision, d’autres uniquement en désaccord avec celle ci, la plupart des femmes sont mitigées.

Cela rejoint les conséquences émotionnelles qui montrent que les trois quarts des femmes ont des émotions négatives quand elles acceptent de vivre une relation sexuelle alors qu’elles n’en avaient pas envie. On peut décider d’être d’accord avec sa tête mais nos émotions ne suivent pas toujours.

Et c’est la même chose dans le corps :

L’excitation sexuelle ne sera importante que pour 17,8 % de l’échantillon, 11 % ne ressentent rien et 12 % ont mal.

Enfin au niveau relationnel voici les réponses à la question : Lorsque vous avez une relations sexuelle sans en avoir envie au départ en quoi cela joue t-il sur votre relation avec votre partenaire : Aucune influence: 47,7% Rapprochement 34,4% Eloignement: 18,1%

Pour bien comprendre ces résultats il faut analyser les réponses des différentes catégories de femmes : qu’ont répondu celles qui ressentaient de la joie, quelle influence de la fréquence…

En effet les moyennes reflètent l’échantillon général mais les réponses ne sont pas réparties de façon aléatoire. Les émotions négatives, pensées négatives, sensations corporelles négatives sont très associées entre elles, de même pour les éléments positifs.

En résumé environ un quart des femmes vit ces relations sans envie préalable avec joie, avec beaucoup plus de plaisir sexuel que les autres. Ce sont aussi les femmes qui ont le plus répondu rarement à la fréquence des relations sans envie.

Donc pour vivre bien une relations sexuelle acceptée plus pour le partenaire que pour soi même il faut que ce soit un fonctionnement occasionnel et pas habituel. A l'envie de faire plaisir succède l'envie d'avoir du plaisir.

Au contraire plus les femmes ont souvent des relations sexuelles alors qu’elles n’en avaient pas envie, plus elles auront des émotions et des pensées négatives, moins elles auront de plaisir sexuel et plus elles s’éloignent de leur partenaire.

Et moins bien elles vivent leurs relations sexuelles moins elles auront envie d’en avoir, le désir sexuel diminue de plus en plus, elles se forcent de plus en plus, le cercle vicieux s’installe.

Pour certaines c’est très marqué, allant jusqu’au dégoût, pour d’autres ça l’est moins mais cela concerne au moins la moitié des femmes de la population générale. En effet un quart ne se forcent jamais et un quart se forcent parfois et le vivent bien, il en reste la moitié pour qui la sexualité n’est pas très fluide. Il faudrait d’autres enquêtes pour confronter et affiner ces résultats mais la tendance est bien réelle.


Comment interpréter ces résultats ?


Tout d'abord si les femmes se forcent c'est parce qu'elles pensent que c'est leur rôle (cf les normes sociales), parce qu'elles ne veulent pas blesser ou décevoir leur conjoint, parce qu'elles ne savent pas comment faire autrement, parce qu'elles ont peur des conséquences si elles ne le font pas comme une dispute voire une séparation. La liste n'est pas exhaustive mais toutes ces raisons semblent avoir bien plus de poids que le fait de simplement le faire car après tout "ce n'est pas si terrible". Et bien entendu vu que les trois quarts des femmes ont des rapports sexuels sans en avoir envie on a du mal à imaginer ce qui se passerait si toutes ces relations sexuelles n'avaient pas lieu. Après tout les normes sociales sont là pour garantir la cohésion sociale et l'équilibre de la société. Et c'est comme ça depuis toujours alors ce ne doit pas être si grave, c'est même "normal" pourrait-on penser.


J'ose espérer mieux que cet équilibre bancal pour la sexualité des femmes … et des hommes! En effet se forcer soi même a des conséquences émotionnelles négatives qui vont grandement diminuer l'attrait de la sexualité et freiner la montée de l'excitation sexuelle.

Il suffit de se sentir forcé à faire quelque chose pour ne pas en avoir envie.

Je répète que je ne parle pas ici des situations où les partenaires mettent la pression pour obtenir du sexe, laquelle peut s'exprimer de diverses manières comme les reproches, la bouderie en cas de refus... En effet le sexe n'est pas un dû, céder n'est pas consentir… Cela concerne la gestion de la frustration, qui, bien qu'étant un sujet primordial, n'est pas l'objet de cet article. Ceci dit si on peut espérer qu'il ouvre de nouvelles perspectives.


Donc concrètement on fait quoi ?


Pour commencer il peut être utile d'évaluer sa propre santé sexuelle. Demandez vous quelles pensées et émotions sont présentes dans votre sexualité, quelles sont les sensations dans votre corps?

La santé sexuelle est définie par l'OMS comme un état de bien être mental, émotionnel, corporel et social en lien avec la sexualité et des expériences sexuelles agréables et sécuritaires sans coercition ni violence.

Ensuite si notre objectif est d'avoir une vie sexuelle régulière et épanouie il est utile que les deux partenaires prennent conscience que se forcer n'est pas le bon chemin (sauf si c'est occasionnel), même si cette solution semble la moins couteuse sur le moment. En effet se forcer est le meilleur moyen de mettre à mal le désir sexuel. Donc il sera utile d'oser aborder ce sujet dans le couple et je crois que c'est la partie la plus difficile.

Cela sera surement déstabilisant au départ, de la même façon que pour ranger en profondeur on commence par mettre le bazar.

J'aurais pu commencer l'article par ça mais il était nécessaire de comprendre les enjeux pour trouver la motivation de bousculer quelque chose qui fonctionne ... cahin caha. Mais le jeu en vaut la chandelle car en plus de respecter le droit de toutes et tous au consentement sexuel libre et éclairé le sexe par envie et non par devoir est beaucoup plus plaisant pour les deux partenaires!

Donc après avoir pris conscience de la situation et communiqué sur ces questions dans le couple, on peut envisager la troisième étape: comment réveiller le désir sexuel. Ce qui semble le plus complexe ne le sera pas forcément si les deux étapes précédentes ont pu être vécues, en prenant le temps qu'elles demandent car les changements de paradigmes ne se font pas du jour au lendemain. Près de 80% des femmes de l'étude ont dit "souhaiter avoir plus envie". Cela laisse de belles perspectives d'évolution car un changement ne peut survenir que s'il est précédé d'un désir de mouvement.

Pourtant il sera nécessaire que cette envie d'avoir envie soit bien une volonté d'améliorer sa santé sexuelle et son plaisir sexuel pour soi même et non pas uniquement pour satisfaire le partenaire.

La sexualité se vit à deux et il n'est pas question de dire qu'il faut être égoïste…. mais un peu quand même! Il y a un équilibre à trouver entre se soucier de l'autre et être connecté à ses propres sensations. Quand on partage un bon repas avec quelqu'un qu'on aime, chacun va apprécier la saveur des plats en même temps que se réjouir que l'autre apprécie. Si l'un des deux regarde l'autre manger en lui demandant si c'est bon sans manger lui même il manquera un dimension au partage.

Il faut donc réaliser que si une femme (c'est pareil si c'est un homme bien sûr mais j'ai étudié ici les femmes) n'a pas envie d'avoir envie il n'y a pas de baguette magique pour faire apparaitre le désir. Et d'ailleurs rappelons que c'est son droit. Mais c'est aussi le droit du partenaire de ne pas s'en accommoder, c'est autre sujet.

Ceci dit dans la majorité des cas les femmes souhaitent que leur désir sexuel augmente mais ne savent pas comment s'y prendre.


Focus sur le désir sexuel


Je ne vais pouvoir qu'évoquer les grandes lignes mais pour stimuler son désir sexuel il faut déjà commencer par savoir ce qui l'entrave. Arrêter de se forcer est donc la première pierre qu'on a posée mais il en faudra sûrement d'autres.

Déjà rappelons que le désir sexuel est un phénomène multifactoriel. Il y a rarement une cause unique et simple et il sera utile de regarder dans toutes les directions afin de comprendre ce qui se passe quand le désir semble en berne. Les facteurs souvent retrouvés en cas de baisse de désir vont être le manque d’intimité relationnelle dans le couple qui pourra s’être installée un peu insidieusement sans qu’on s’en rende compte. Parfois tout simplement du stress, du surmenage, de la fatigue qui viennent entamer la disponibilité et l‘envie de sexualité. La manière dont se déroulent les relations sexuelles a également un impact, parfois le temps a amené un peu de monotonie, parfois le plaisir féminin n'est pas bien connu ou des douleurs existent. Les conflits bien sûr n’aident pas et ceux autour de la répartition inégale des tâches ménagères et familiales sont souvent retrouvés. Certaines croyances peuvent intervenir comme une dissociation ou incompatibilité entre la sexualité et la parentalité, la ménopause, la maladie, le handicap… Enfin certains médicaments psychotropes ou l’alcool pourront aussi diminuer le désir sexuel. Il en est de même pour la dépression ou d’autres problèmes de santé et l’âge. Tous ces facteurs sont des éléments qui peuvent être retrouvés mais il n’y a rien de systématique.

Donc il n'y pas de recette magique mais en faisant un pas après l'autre on va toujours quelque part.

Prendre soin de sa relation de couple, se ménager des temps ensemble, amener de la nouveauté dans les relations sexuelles, ne pas oublier la séduction sont des bases précieuses et parfois suffisantes. Parfois il existe des problématiques médicales ou psychologiques particulières qui nécessiteront de consulter.

Enfin vous trouverez ci-dessous quelques ressources qui gagneraient à être lues ou écoutées en couple.

En effet en matière de sexualité il est beaucoup plus juste et efficace de travailler en équipe que de considérer que l'un des deux a un "problème" et qu'il doit le "résoudre".

Alors bonne route à chacune et chacun pour que le devoir conjugal cède sa place à la santé sexuelle de toutes et tous ceux qui le souhaitent!


Voici des ressources de différentes sensibilités, tout le monde est différent vous pouvez faire votre marché ;)

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